La Maison est noire, de Forough Farrokhzad

Regarder pour ne pas ignorer

Regarder pour ne pas ignorer

Dès les premiers plans, il y a une force implacable et terrible qui ne nous quittera pas. Des images, presque des visions (certaines images sont comme des flashs), qui marquent durablement la rétine. Pour ce film de commande, Forough Farrokhzad a filmé une léproserie afin d’y montrer la laideur, « qu’il serait injuste d’ignorer« , nous dit le texte qui ouvre le film. Ce court métrage de 22 minutes est une leçon de montage qui, derrière une apparente linéarité (on nous montre les divers lieux, les diverses activités à l’intérieur de la léproserie), révèle surtout une stagnation, à l’image de cet homme qui tente de combattre la maladie en pédalant sur une machine fixée au sol.

Le montage décrit aussi l’immense solitude des lépreux. Elle n’est pas seulement symbolisée par ce magnifique plan où les lépreux ferment les portes, laissant la caméra (et donc le spectateur) à l’extérieur. La solitude, c’est aussi celle de chacun des lépreux face à la maladie, que le montage souligne admirablement en cumulant les cadres où chaque individu semble y être prisonnier. Le montage, c’est aussi la voix-off qui récite des textes de l’Ancien Testament. Difficile d’en définir le caractère qui semble aussi bien trouver de la beauté dans cette léproserie (la jeune femme qui se maquille) que de souligner l’offense et l’ironie de ces écrits face à l’injustice dont sont victimes les lépreux.

Le film se conclut sur une scène de classe inoubliable, où on peut lire sur le visage du professeur toute la détresse, l’impuissance face aux réponses de ses élèves. La réalisatrice y capte aussi un moment du réel qui, comme le maître d’école, laisse sans voix. La maison est noire a la puissance et la frontalité de Las Hurdes de Buñuel. Incroyable de se dire que ce film est un premier film tant il fait preuve d’une maîtrise époustouflante (ce montage !). Une œuvre unique, d’une grâce inouïe qui vient s’ouvrir au monde pour y trouver de la beauté, dans un lieu que l’on voudrait habituellement nous cacher.

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